Il y a quelques années, écrire un blog sur ce sujet n’aurait pas été possible car ce terme – qu’on traduit par « plaidoyer » en langue française – n’aurait pas été immédiatement associé à la philanthropie. Pourtant, l’histoire de l’advocacy est longue et s’est trouvée constamment entremêlée avec celle de la philanthropie.
En anglais, le terme « advocacy » a été utilisé aux États-Unis dès les années 1950. Mais le concept de plaidoyer ou d’advocacy est bien plus ancien. Les mouvements abolitionnistes du XVIIIème siècle faisaient déjà de l’advocacy transnationale. Une définition délibérément large et générale pourrait être la suivante : l’advocacy est l’acte, la pratique ou les processus visant à défendre ou promouvoir une idée, une personne, une cause, un mouvement, une législation, mais également un produit ou un projet. L’advocacy vise à influencer une audience spécifique qui peut être locale, nationale ou internationale, voire globale. L’advocacy peut être mené par des individus, des institutions, des organisations internationales, des organisations non-gouvernementales (ONG), des associations commerciales, ou par des fondations philanthropiques. L’advocacy utilise des techniques et des instruments divers et variés pour influencer des perceptions, des comportements, des opinions ou des politiques. Il peut être multidimensionnel, multidirectionnel, multi-juridictionnel.
Depuis les années 1990, les chercheurs en sciences sociales ont associé le terme advocacy avec les activités des ONG, surtout celles dont l’action porte principalement sur l’aide humanitaire, le développement, l’environnement, l’éducation et la santé publique. Or, nous savons qu’il s’agit de thématiques historiquement liées aux activités internationales (et nationales) des fondations philanthropiques et des sociétés d’utilité publique.
Mais la question qui se pose est : Quand, où, et comment l’advocacy rencontre la philanthropie ? L’absence de définition précise de l’advocacy influence la manière dont certaines fondations philanthropiques acceptent (ou pas) de parler de leur stratégie d’advocacy. Le chevauchement et la confusion possible entre campagnes politiques, lobbying et pratiques d’advocacy est problématique pour toute fondation philanthropique qui ne souhaiterait pas, ou ne pourrait légalement, faire de la politique ou du lobbying. Admettre faire de l’advocacy serait risqué dans ce cas, et cette rencontre entre advocacy et philanthropie pourrait ne pas avoir lieu lorsque l’advocacy fait référence à des activités qui visent à défendre ou promouvoir une ligne politique ou idéologique. Si la définition de l’advocacy n’est pas soigneusement différenciée de celle du lobbying – en tant qu’action visant à influencer une législation par contact direct avec les décideurs politiques – un législateur donné pourrait interdire aux fondations philanthropiques ou aux sociétés d’utilité publique de faire de l’advocacy.
Il existe une réalité moins tranchée et plus nuancée que des définitions formellement parfaites. Faisons l’hypothèse que la fondation (X) investit pour l’éradication d’une maladie, et le fait publiquement . Je soutiens que dans ce cas, elle fait de l’advocacy. En effet, cette fondation (X) prend soin d’expliquer pourquoi elle prend position en faveur d’une vaccination, comment elle le fait et pourquoi elle soutient la vente à prix coûtant des médicaments nécessaires. Cet exemple plausible, basé sur des situations existantes, est utile pour souligner l’argument suivant : penser que les fondations philanthropiques sont « hors-sol », dépourvues d’opinion politique, religieuse, philosophique et morale, d’une vision socio-économique, est tout simplement faux. Ces acteurs ont toujours fait et feront toujours de l’advocacy correspondant à leur vision du monde dans leurs domaines et en suivant un modus operandi et des techniques qui leur appartiennent. Les fondations font de l’activisme ; quand et si elles le peuvent, elles font du lobbying en respectant les législations de leur pays d’origine, et devraient également respecter celles des pays étrangers dans lesquels elles opèrent (vaste sujet qui mériterait à lui seul un article ).
Ergo, l’advocacy est intrinsèquement lié à la philanthropie. D’un point de vue analytique, si nous souhaitons procéder à un examen plus fin des zones de tensions possibles entre advocacy, campagnes politiques et lobbying, nous ne pouvons que procéder à une contextualisation dans le temps, dans l’espace – local, national, international – et prendre en considération les dimensions sociales, politiques et légales spécifiques à une action donnée. Le fait qu’une fondation, ou une société d’utilité publique, prennent position en faveur ou contre le sujet d’un référendum ou d’un projet de loi peut poser problème dans un pays et pas du tout dans un autre. Voici le nœud – politique – du problème : quand est-ce que l’activisme politique ou le lobbying dépassent le périmètre accepté (acceptable) et par conséquent rendent caduques les privilèges – fiscaux, par exemple – d’une fondation ou d’une société publique ?
En conclusion, pour revenir à l’histoire de la philanthropie et de son rapport à l’advocacy, si les historiens ont étudié les activités de certaines fondations philanthropiques au-delà des frontières nationales, ce sont les activités à l’intérieur des frontières nationales qui mériteraient plus d’attention, autant celles d’hier que d’aujourd’hui. En effet, ces activités nous en disent long sur la vision et le modus operandi, donc sur la nature de l’advocacy, d’une fondation ou société d’utilité publique donnée. L’expansion au niveau transnational ou international des fondations philanthropiques est loin d’être systématique. Par ailleurs, l’étude des continuités, des changements et des ruptures de la signification des termes « utilité publique » et « philanthropie » restent des éléments cruciaux pour comprendre la nature de l’advocacy des acteurs de la philanthropie, qu’ils soient ou pas occidentaux, qu’ils opèrent au niveau international ou pas.
Davide Rodogno
Professeur d’histoire et politique internationales, Directeur du Certificate in Advanced Studies (CAS) en Advocacy et Affaires Internationales, et Responsable des programmes interdisciplinaires de l’Institut de Hautes Études Internationales et du Développement, Genève.