Les concerts et les expositions me manquent pendant cette pandémie. En attendant, je me suis intéressé à un essai intitulé “On Beauty and being just“, Elaine Scarry, professeure de philosophie à Harvard, y soutient que la beauté nous aide à porter notre attention sur la justice.
La beauté nous invite aussi à la générosité. Par son appel direct à nos perceptions sensorielles, la beauté nous enveloppe d’une “surabondance de vie”. Dans un monde qui nous pousse à nous recroqueviller sur nous-même, tout particulièrement en ces temps de pandémie, la beauté nous éloigne du centre de nos préoccupations personnelles et attire notre attention vers l’extérieur, vers les autres et, en fin de compte, nous conduit à la générosité, celle qui est radicale tout en étant responsable.
La générosité resterait un concept abstrait si nous n’avions pas d’outils pour l’exercer. Elle peut prendre différentes formes. Il pourra s’agir d’un geste de bienveillance, d’un mécénat de compétences ou de mettre à disposition du temps – le temps est peut-être notre ressource la plus précieuse. Lorsqu’on parle de générosité matérielle, la fondation sera souvent évoquée.
La fondation est le pain quotidien de ma pratique d’avocat. J’ai le privilège d’accompagner des personnes qui constituent des fondations dont les buts sont d’intérêt général ou qui souhaitent que ces fondations aient un véritable impact. Dans un environnement complexe et changeant, je réalise toujours plus les difficultés auxquelles ces personnes sont confrontées lorsqu’elles veulent assurer qu’une fondation philanthropique demeure pertinente dans son but, efficace dans sa poursuite.
Tout d’abord, quand quelqu’un constitue une nouvelle fondation, il doit s’assurer d’en formuler les buts et de l’organiser de manière à ce qu’elle puisse traverser les âges en restant fidèle à l’esprit initial tout en demeurant agile. Il conviendra ainsi d’être particulièrement vigilant à formuler le but de manière suffisamment large, en distinguant bien ce qui relève de la finalité, des moyens ou encore des motivations. Au niveau de l’organisation et sauf rares exceptions, il paraît par exemple capital de limiter le nombre possible de mandats des membres du conseil de fondation. Cette mesure permet de diminuer le risque qu’un membre utilise la fondation pour servir ses propres intérêts plutôt que pour poursuivre le but philanthropique fixé dans les statuts. De même, cette mesure permet à la fondation de se garantir de nouvelles énergies et un certain dynamisme sur le long terme.
Mais la question de la pertinence et de l’efficacité ne concerne pas seulement les fondations au moment de leur constitution. Aujourd’hui, 50% des fondations d’utilité publique en Suisse existent depuis plus de 20 ans. La première génération a ainsi souvent laissé place à de nouveaux membres au conseil de fondation. Ces membres ont-ils conservé la même passion pour le but? Ce but est-il d’ailleurs toujours d’actualité? Les ressources de la fondation sont-elles adaptées à son but? Qu’en est-il de son organisation? Tant de questions peuvent se poser. Le droit des fondations est relativement strict lorsqu’on veut toucher aux buts ou à certains éléments de l’organisation de la fondation. L’admissibilité de telles modifications dépendra particulièrement de la pratique des autorités de surveillance, laquelle est parfois irrégulière. En parallèle de ce type de modifications, la fondation pourra amorcer une évolution organique en ayant par exemple une approche plus stratégique, en se coordonnant avec d’autres acteurs et en travaillant sur sa gouvernance et la constitution de son conseil.
Finalement, quand une fondation a fait son temps, qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions, le conseil de fondation et l’autorité de surveillance ne devraient pas hésiter à envisager sa transformation, sa fusion avec une autre fondation ou une fondation abritante, ou encore sa dissolution.
Alors que la plupart de mes amis artistes attendront encore avant de pouvoir se produire, que certains devront se réinventer pour continuer à contribuer à la beauté, au dialogue et à la réflexion dans notre société, je me rappelle que la philanthropie ne peut se contenter d’être un passe-temps pour se donner bonne conscience ou, pire, un simple gagne-pain pour quelques prestataires de services. Un travail important doit être mené à de nombreux niveaux pour que les fondations philanthropiques demeurent pertinentes et soient plus efficaces. Il en va de leur légitimité, notamment au niveau des avantages fiscaux qui leur sont octroyés, mais aussi de la réputation de la place philanthropique suisse.