En mars, ma fille ainée de 15 ans me demandait si l’épidémie du Covid19 entrerait dans l’histoire avec un grand « H ». J’aurais été alors bien en peine d’anticiper ces mois éprouvants que nous avons tous vécu, qui marqueront sans nul doute les histoires de chacun d’entre nous.
Ces dernières semaines, nous avons pu ressentir combien le lien intergénérationnel avait été malmené, en stigmatisant soit les jeunes, soit les anciens, pour des raisons différentes. Exacerbé par cette crise, ce lien est pourtant déjà fragile tant la société en 2-3 générations a changé. À l’heure où la célébration de Noël se recentre autour de la famille, première ou recomposée, c’est pourtant aussi au sein de la famille même que ce lien peut, et doit, aussi être développé.
Car les fêtes de Noël et de fin d’année sont une formidable invitation à penser notre lien à l’autre. Le lien avec celui qui est un être connu – dans le cadre de la famille par exemple -, le lien avec l’être inconnu aussi, partie de notre société, proche ou lointaine.
Donner nous met en relation avec toutes ces personnes qui ne font pas partie de notre cercle, ces « inconnus ». La philanthropie s’adresse d’abord à tout ce qui n’est pas « soi », et ce quel que soit la taille ou la forme du don. Yann Dezarzens, responsable de la Fondation Mère Sofia qui aide les plus démunis à Lausanne, me confiait le week-end dernier : « Nous avons une longue liste d’attente de nouvelles personnes qui souhaitent faire du bénévolat pour nous aider. » En initiant ce mouvement vers l’autre, c’est soi-même que l’on transforme progressivement dans la rencontre de l’engagement.
Je ne crois pas que la philanthropie des Ford et Carnegie hier, ou des Gates et Zurckerberg aujourd’hui, soit la norme. Toute aussi fascinante qu’elle est, cette philanthropie est une exception anglo-saxonne. Aujourd’hui il y a un chemin qui se dessine ailleurs avec une philanthropie plus discrète et moins incarnée, mais pas moins engagée ni moins exigeante, et qui par sa posture même laisse plus de place à l’autre. Soudain, « ma philanthropie » devient « notre philanthropie ».
« Le temps ne fédère pas non plus, mais sépare les générations. Ce qui réunit les hommes et les femmes, ce sont les valeurs. (…) La philanthropie familiale devrait permettre aussi bien de fédérer les membres de la famille que le personnel de l’entreprise autour de valeurs communes. » évoque Thierry Mauvernay dans l’introduction du Family Philanthropy Navigator, un livre récemment publié par la Chair Debiopharm de Philanthropie de Famille à l’IMD, et consacré à la philanthropie en famille.
Alors comment définir et stimuler ces valeurs communes ? Des valeurs qui, la plupart du temps, sont le fruit de comportements. Aider les autres, nous apprend à nous comprendre nous-mêmes dans l’altérité de l’autre qui n’est pas moi. La philanthropie devient une expérience familiale fondatrice pour développer différemment un socle commun dans une culture de plus en plus laïque.
D’expérience, je constate que si construction n’est pas toujours aisée, lorsqu’elle est bien menée elle fonctionne comme un révélateur des divergences comme des rencontres. La philanthropie devient alors un espace de discussion et d’échange entre les générations où les visions différentes peuvent se confronter pour s’additionner.
Autrement dit, à l’heure où nous nous interrogeons ce qui est « normal » en cette fin d’année, nous voyons combien, jeunes ou aînés, nous sommes à la recherche de sens dans ce que nous entreprenons, ou en lien avec ce que faisons ou ce que nous possédons. La reconnaissance de l’interdépendance des générations comme de l’autre comme partie prenante. L’empathie comme la générosité peuvent ainsi tout à fait côtoyer la philanthropie sans échelle de valeur aucune.
Sur ces mots, qui je l’espère vous inspireront – et nourriront qui sait les discussions familiales pendant les fêtes autour d’engagements actuels ou à venir – je vous souhaite une très beau Noël.
Etienne Eichenberger
Etienne Eichenberger est Président du Conseil de fondation de Swiss Philanthropy Foundation, fondation abritante de référence en Suisse romande. Il a co-fondé la société de conseil WISE-philanthropy advisors, qui accompagne les entrepreneurs et leurs familles dans l’élaboration de leur stratégie jusqu’à la réalisation de leur projet philanthropique sur le terrain. Il siège aussi dans le Conseil de Board for Good et de Partner for a New Economy.